Jef Le Penven et le chant populaire breton (P.3)

Publié le par Anne-Marie Schouten-Dumerchat

De la collecte au tri

 

Nous avons vu que, dans un premier temps, Jef Le Penven puise des  mélodies dans les recueils qui font référence à l'époque. Mais sa curiosité le mène a effectuer plus loin ses recherches. Le travail de terrain devient une nécessité dans la quête de nouveaux airs et c'est avec son ami et fondateur dela B.A.S1 Polig Monjarret qu'il réalise ses premières collectes. En ces temps d'après guerre, Polig Monjarret est convaincu de l'urgence d'aller recueillir le répertoire des musiciens et des chanteurs.

  La mission de sauvetage entreprise par la B.A.S tombe à pic pour le jeune musicien ! C'est ainsi que les deux hommes partent à la rencontre du peuple paysan, au hasard et en quête de bonnes mémoires et ne craignant pas, lorsque c'est nécessaire, de s'investir dans les travaux de la terre en échange de quelques chansons2.


Au printemps 1948, tout en parcourant le pays Pourlet à motocyclette, Jef le Penven recueille encore treize airs ici et là avec leurs variantes. Plus tard, dans une émission régionale3 qui lui sera consacrée, Polig MONJARRET explique comment « Jef pouvait noter avec une grande facilité les paroles comme la   musique, comment il connaissait une quantité extraordinaire de chants populaires ». Dans Le quêteur de mémoire, P.J HELIAS désigne la chanson populaire    comme la source possible de la vocation musicale du jeune pontivyen.

 

Si ces sources bretonnes sont multiples et à la base de son oeuvre, c'est aussi às on écriture rapide et spontanée, à sa grande faculté d'écoute et de mémorisation que l'on doit les trois cents pièces d'un catalogue encore incomplet. L'importance du nombre de pièces contenues dans l'œuvre musicale de Jef Le Penven peut surprendre si l'on considère sa courte vie ! L'intuition a certainement sa place dans le geste créateur. Jef Le Penven écrit ses airs comme il respire, sur des petits bouts de papiers, sur des coins de nappes. Il les livre au hasard, à celui qui lui en fait la demande. On lui reconnaît un profond sens breton. C'est la raison pour laquelle les membres de la B.A.S lui accordent une véritable confiance pour la validation ou la non- validation des airs traditionnels recueillis sur le territoire.


En effet, en 1943, la B.A.S, à qui il propose ses services, lui confie la tâche de «trier un peu » parmi les airs recueillis ici et là. Ainsi va-t il, et ce jusque dans les années 1950, opérer une sélection des airs voués à être diffusés auprès des sonneurs, rejettant tout ce qui, de son point de vue, ne correspond pas à la tradition. Les airs interprétés à l'accordéon ou à la clarinette sont, d'emblée, mis de côté. Retenant prioritairement les airs pour le biniou ou la bombarde, il rejette les airs « à la mode» comme La Java Bleueou La Paimpolaisequi avaient investi le répertoire traditionnel après la Première Guerre Mondiale. Comme l'indique Véfa de Bellaing, « la tâche à laquelle Jef Le PENVEN s'était attelé n'était pas simple puisqu'il s'agissait de « nettoyer » la musique traditionnelle de tous ces airs  étrangers »4, d'origine irlandaise, écossaise ou galloise ainsi que ceux rapportés de Paris et adaptés par les musiciens du cru. En somme lorsque la couleur ou l'esprit n'y était pas, Jef Le Penven pouvait se montrer impitoyable. Parfois trop aux yeux de Polg Monjarret qui, inquiet de voir nombre de ses notations partir à la poubelle, finira par en conserver discrètement des copies5.

 

L'écriture populaire maîtrisée


Pour Jef Le Penven, la justesse du chant populaire breton tient à son caractère naturel et spontané, à son allure très libre, à son accent inimitable qui empêche de le confondre avec les musiques populaires des autres régions, à l'usage enfin de certains instruments traditionnels comme la bombarde et le biniou.

      Comme des milliers d'autres airs traditionnels le caractère authentique de ce jabadaw (document 6) a pu être validé comme tel par Jef Le Penven. Polig MONJARRET le publie en 1984 dans son Toniou Breiz-Izel.

 

Jabadaw-n--2193-Breiz-Izel-Polig-Monjarret-2.png

 

 

 

                  Les formules y sont simples et répétées, les courbes mélodiques essentiellement conjointes et ne dépassant pas l'octave, les mouvements en doubles-croches  donnent l'élan nécessaire à la danse. Le schéma AABB, repris à volonté, témoigne de la  grande simplicité structurelle de l'air breton d'une manière générale. La tonalité de Sib majeur s'attache de manière traditionnelle aux biniou et à la bombarde. 

 

 

En examinant une autre pièce, Mesk er vor(document 7), que Jef Le Penven compose pour un Bagaden 1967, un mois avant sa disparition, on retrouve de manière intuitive tous les éléments constitutifs du jabadaw : les tournures mélodiques simples et conjointes, le caractère dynamique et la structure en deux parties. Mesk er vor ne laisse plus aucun doute sur la filiation du compositeur avec la musique traditionnelle.

 

Mesk_ar_vor_1-michel.jpg

 

 

      Si la musique de Jef Le Penven se fond parfois avec le répertoire traditionnel c'est que son écriture populaire est véritablement maîtrisée. Cette maîtrise se perçoit le plus dans le rapport de sa musique au langage.

Bretonnant, Jef le Penven a une parfaite connaissance des différents dialectes de sa région et porte une attention particulière à la langue. Si la structure de ses mélodies tient compte de la composition des vers, les phrases musicales, qui lui sont soumises, prennent corps avec les différents accents de celle-ci. Le geste musical est donc pensé en fonction du langage.

Dans sa célèbre mélodie Me zo gannet e kreiz er mor le compositeur utilise le vannetais alors que pour Kanenn Dahud6, il utilise le KLT7

 

 

      Cette écriture si attentive face à la langue, soulignant inflexions, accentuations particulières, véritables signatures locales, révèle l'intérêt de Jef Le Penven pour la diversité de la langue bretonne. Perçevant celle-ci comme une source de richesse, c'est avec précision qu'il y applique sa musique en respectant les caractères particuliers des différents dialectes bretons.

 

 

 

1Bodadeg ar Sonerion

2A ce sujet, voir l'anecdote rapportée par Pierre Madec dans son article « Le compositeur pontivyen » in, La Liberté du Morbihan, 25 février 1954.

3INA, 1978.

4Entretien avec Véfa de BELLAING, réalisé par Kristell Le Neillon, in Mémoire de maîtrise « Jef Le Penven, compositeur breton », St Brieuc, 17 mai 1995, [document n° 134].

5Voir notamment enregistrement Dastum n° 16666 : « Jef le penven », conférence de Polig Monjarret dans la cadre de l'université d'été du Festival de Cornouaille, 22 juillet 2002.

6In, Teir C'hannen e stumm ar c'hanaouennou pobl, pour voix et piano, Rennes 1942.

7 Système phonétique moderne pour permettre l'inter-compréhension des langages cornouaillais, léonard et trégorois. Après les efforts d'unification entrepris par Le Godinec depuis 1830, l'orthographe KLT naît en 1908.

 

 

 

Publié dans Invités

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